/https%3A%2F%2Fi.f1g.fr%2Fmedia%2Ffigaro%2F805x453_crop%2F2018%2F11%2F28%2FXVM70f9ed98-f331-11e8-92ee-1b4a3ecbb046.jpg)
Luc Ferry : "Pourquoi tant de violences gratuites?"
CHRONIQUE - Le "prix du progrès" que nous payons aujourd'hui est celui d'une véritable liquidation des valeurs et des autorités traditionnelles auxquelles s'adossait la civilité. Selon une enqu...
Notre monde, tout simplement, a vécu ce que les historiens appellent désormais la «fin des paysans»
Le village dans lequel j'ai passé mon enfance, dans le Vexin, pas très loin de Paris, a changé sans doute davantage en cinquante ans qu'en cinq cents ans. Quand je dis à mes filles qu'il n'y avait pas de voitures à l'époque dans ce petit bourg, hormis celle du maire, qui possédait une «traction avant», et la Bugatti de mon père, parce qu'il était pilote de course, que seules quelques rares charrettes tirées par des percherons sillonnaient les rues, qu'on allait chercher le lait et les œufs, non dans un supermarché, mais à la ferme, où l'on assistait en direct à la traite des vaches, que les femmes faisaient la lessive au lavoir, avec des battoirs qui ressemblaient à de grosses raquettes de ping-pong ; quand je leur raconte que les paysans «faisaient les foins» à la faucille et coupaient le blé mur avec une faux, qu'ils liaient les gerbes à la ficelle et faisaient avec des meules qui nous servaient de maisonnettes, elles me regardent comme si je sortais de Jurassic Park… Si j'ajoute que mes frères et moi nous disputions le matin le privilège de moudre le café dans un «moulin à bras» dont le petit tiroir inférieur dégageait une odeur délicieuse, elles n'ont aucune chance de partager mon expérience.
Notre monde, tout simplement, a vécu ce que les historiens appellent désormais la «fin des paysans», non seulement leur remplacement par «l'agriculteur», mais une diminution sans précédent de leur nombre: il y avait environ six millions de paysans dans la France des années cinquante, il reste aujourd'hui à peine plus de 300.000 exploitations agricoles.