C'est la révolution des œillères. Menée par des citoyens confrontés depuis des lustres à un mur d'indifférence, elle oblige désormais les élites, et les «progressistes» en premier chef, à descendre des balcons et à dessiller leurs yeux. Six mois de manifestations massives contre le mariage homosexuel se sont certes soldés par un échec, puisque la loi Taubira a été maintenue. Cependant, la victoire de François Hollande pèse peu face à ces mobilisations populaires. Pour avoir tenu tête aux intimidations et aux insultes de la gauche et de ses médias, la société civile s'est constituée en force politique, contre un pouvoir aveugle et sourd. Le socialisme cabré a montré son sectarisme, en refusant de regarder ce qu'il avait sous le nez. Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, s'est particulièrement distingué en minimisant systématiquement le nombre de manifestants.
Rien ne sera plus comme avant. Les défilés tranquilles ont marginalisé les politiques, les partis, les syndicats. Ceux-là n'auraient jamais su entraîner de telles démonstrations de force. L'arrogance des parvenus de la politique, qui se grisent dans l'entre-soi, devient un comportement irresponsable. La ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, semble l'avoir compris en renonçant, au contraire de la porte-parole du gouvernement, Najad Vallaud Belkacem, à assister, mercredi, au premier mariage gay célébré à Montpellier. La démocratie représentative, coupable d'avoir oublié qui l'a faite reine, est aujourd'hui placée sous la surveillance d'une démocratie d'opinion à la réactivité inattendue. Les brutalités du hollandisme lui ont permis de s'inviter durablement à la table des puissants.
Le divorce entre la France d'en haut et celle d'en bas a produit ce bouleversement dans l'équilibre des pouvoirs. La révolution des œillères, menée par des gens ordinaires, invite le socialisme à quitter une idéologie qui, culturellement, fractionne le pays et, économiquement, le tire vers le bas. Sur ce point, le chef de l'État montre qu'il en a conscience quand il fait, mais en Allemagne, l'éloge de Gerhard Schröder et de ses réformes libérales, tant critiquées Rue de Solférino. Harlem Désir, le patron du PS, s'installe d'ailleurs en caricature de ce parti distributeur de fatwas. Le gouvernement est contraint à la délicatesse pour aborder les prochains sujets liés à la famille, à commencer par la réforme des allocations. La gestation pour autrui, les cellules souches, la fin de vie, la théorie du genre sont des thèmes hautement inflammables. Voilà les pyromanes prévenus.
Mais l'UMP est pareillement touchée par l'irruption des questions sociétales dans le débat public consensuellement réservé, jusqu'alors, à l'économique et au social. La sottise de l'opposition est de se déchirer sur des postures sans comprendre l'air du temps. Il lui aurait été loisible, s'ouvrant à la société, de constater que le chômage n'était pas la seule inquiétude des citoyens, également angoissés par la mise à l'encan de leur civilisation. C'est pour la défendre que des centaines de milliers de personnes se sont mises en marche. Mais la droite querelleuse, incapable d'une position commune face aux manifestants, s'est une fois de plus ridiculisée. Le choix, cette semaine, de soumettre aux militants la décision de revoter sur la présidence contestée du parti est une solution qui aurait dû intervenir dès le contentieux Copé-Fillon. Les Français sont la seule boussole.
UMP: la séparation?
La crise des partis, révélée par ce mouvement qui leur tourne le dos, devrait être l'occasion pour l'UMP d'engager une réflexion sur son rôle et sa place à droite. Il est anormal de constater que, plus d'un an après l'échec de Nicolas Sarkozy, aucune analyse de la défaite n'ait été menée. Quand, au nom du gaullisme, François Baroin explique à L'Express: «L'UMP est un grand parti de gouvernement, qui s'est honoré de résister à la rue», il s'accroche à une fiction qui a fait perdre son camp pour avoir tardé à entendre ceux qui se plaignent de leur vie. L'opposition ne peut constamment tourner autour du FN, en se demandant s'il faut rétablir un barrage ou aborder les thèmes qu'il s'est approprié. La démonstration de la rue est celle d'une société soucieuse de ses valeurs et de ses traditions. Baroin et une partie de l'UMP (dont François Fillon et Alain Juppé) semblent ne vouloir se résoudre à entendre ce que dit le peuple, pour lui préférer l'inspiration de l'homme providentiel. Mais il n'existe pas. Cette droite hautaine ne s'interroge pas plus que la gauche en pilotage automatique. Si la fracture doctrinale est telle au sein de l'UMP - la candidature de Nathalie Kosciusko-Morizet à la Mairie de Paris pourrait en faire les frais -, pourquoi ne pas envisager une séparation et une refondation?
Revendications communautaristes
C'est aussi contre la légèreté des élites et leur politique de l'autruche que la France bien élevée s'est insurgée, loin de la poignée d'extrémistes qui ont échoué dans leur diversion. Le désir de préserver la civilisation dépasse le mariage gay. Il rejoint les questions sociétales que sont la préservation de la cohésion nationale et de ses racines culturelles. Or, la capitulation du gouvernement devant une minorité militante (l'Insee ne recense que 100.000 couples gays), qui instrumentalise une homophobie mise à toutes les sauces, ouvre la voie à d'autres revendications communautaristes et victimaires. Ainsi, des musulmans seraient en droit de faire valoir des exigences particularistes au même nom de l'égalité, de la non-discrimination, de l'enrichissement des différences et d'une islamophobie brandie à la moindre critique par les plus radicaux. Comment, par exemple, faire obstacle à une demande de reconnaissance de la polygamie, réalité tolérée dans des cités?(voir mon blog).
Répondre à l'islamisation
Ce sujet en cache un plus grave: la place prise par l'islam dans une société laïque qui ne lui est pas naturelle. Ce résultat est celui de plus de trente ans de passivité devant une immigration de peuplement qui perdure. La tentative d'égorgement d'un militaire français par un fondamentaliste converti, samedi à la Défense, illustre la montée de l'islamisation. Selon Élisabeth Schemla (1), «elle va très au-delà de poches de radicalisme». Si, sur un tel défi, les politiques devaient persister à détourner leurs regards, la révolution des œillières pourrait bien se charger de leur signifier plus clairement leur répudiation.
(1) Islam, l'épreuve française, Plon.