Pour tout ceux qui ne veulent pas voir
Politique Hervé Gattegno
Fillon n'est pas celui que vous croyez. C'est-à-dire ?
François Fillon s'est trompé sur cette élection - on l'a assez dit : il a fait une campagne nationale là où il fallait s'adresser aux militants, il a voulu s'imposer en présidentiable au lieu de s'opposer en chef de parti. Il n'empêche qu'on s'est aussi beaucoup trompé sur lui. Jean-François Copé a fait une campagne caricaturale : c'est logique qu'il soit caricaturé. Mais Fillon a réussi, lui, à se fondre dans son image publique. C'est même un cas étonnant de substitution de la réalité par l'apparence. Il passe pour modéré et fédérateur alors qu'il s'est montré vindicatif et jusqu'au-boutiste. Ça prouve qu'il a été un piètre tacticien durant la campagne, mais qu'il est très habile depuis dans la communication.
Vous trouvez injuste qu'il apparaisse plus comme la victime de Jean-François Copé que l'inverse ?
Ils sont victimes l'un de l'autre - et aussi d'eux-mêmes. Ce qui est injuste, c'est que François Fillon puisse poser en homme d'État désintéressé, alors qu'il est tout aussi ambitieux, déterminé et calculateur que Jean-François Copé - si Copé incarne la "droite décomplexée", Fillon est plus complexe mais pas moins adroit... Ni moins à droite. Il a été souverainiste au côté de Philippe Séguin, il a soutenu Balladur contre le Chirac de la "fracture sociale". Puis ministre chiraquien, il s'est vu en rival de Sarkozy avant de se rallier à lui contre Chirac. Et aussitôt après la défaite de Sarkozy, dont il a été le Premier ministre pendant cinq ans, il a voulu prendre ses distances avec lui. Fillon veut peut-être changer la droite, mais il est lui-même d'une droite changeante...
Qu'est-ce qui explique, d'après vous, qu'il ait une meilleure image que Jean-François Copé dans l'opinion ?
Les mêmes raisons qui ont fait qu'il n'a pas gagné - ou du moins, pas obtenu le triomphe espéré : il est tenace mais ce n'est pas un combattant, il a plus l'air d'un expert que d'un leader. Et son côté bourgeois bien élevé plait davantage chez les intellectuels et les relais d'opinion. Surtout qu'il a fait une campagne peu clivante, à l'inverse de Jean-François Copé - décevante pour les militants mais rassurante pour tous les autres. Et ses cinq ans à Matignon lui valent la considération qui sied à ceux qui ont gouverné la France. Avec tout cela, on en oublierait presque qu'il a souvent eu du mal à se faire élire - c'est pour cela qu'il s'est prudemment présenté à Paris, dans une circonscription gagnée d'avance. Car ce n'est pas non plus un grand courageux.
Il n'empêche qu'il a tenu bon avec son groupe de dissidents. Il a refusé d'y renoncer. Il dit maintenant qu'il le dissoudra quand Jean-François Copé sera prêt à organiser un nouveau vote des adhérents...
C'est la meilleure preuve de sa vraie nature : il a joué la division pour empêcher Jean-François Copé d'être vainqueur. Comme l'UMP ne lui a pas déroulé le tapis rouge, il a fait en sorte que l'élection se joue sur tapis vert. Il a exigé des recomptages qu'il a ensuite contestés. Menacé de saisir la justice. Et fini par provoquer une scission. Ça prouve qu'il n'a pas grande considération pour le Parlement : il est prêt à sacrifier la représentation de son parti à l'Assemblée à des enjeux internes. Mais pas tout à fait quand même : les députés vont siéger ensemble dans l'hémicycle ; mais lui aura sa place à la réunion des chefs de groupe et il va pouvoir se faire appeler "M. le président". On ne sait pas combien de temps ça durera, mais c'est toujours ça de pris...