L’auteur, professeur à l’université Paul-Sabatier de Toulouse, souligne les risques environnementaux de l’exploration de cette ressource en France.
Aujourd’hui, seuls les ÉtatsUnis produisent et commercialisent du gaz (méthane) de type « gaz de schiste », encore appelé « gaz non conventionnel » et ceci depuis environ une douzaine d’années. Le retour d’expérience sur l’exploitation de gaz de schiste est donc uniquement basé sur ce pays. Le seul procédé qui permet d’extraire ce gaz des couches géologiques imperméables de notre sous-sol est la technique de fracturation hydraulique. Celle-ci est pour l’instant interdite à des fins d’exploitation en France par la loi Jacob de juillet 2011. Cette technique nécessite d’injecter au sein de la couche géologique des quantités importantes d’eau et de produits chimiques - certains étant cancérigènes ou toxiques - sous très forte pression. Cette fracturation de la roche permet ainsi au gaz de s’en échapper et de remonter vers la surface. Une particularité de cette exploitation de gaz de schiste est de nécessiter une forte densité de forages (plusieurs par km2). En effet, ces formations étant imperméables, elles doivent être exploitées intensément à travers un maillage fin afin de produire du gaz en quantité significative.
Nous constatons aujourd’hui que de nombreux accidents et cas de contamination des eaux souterraines se sont produits aux États-Unis dans divers États comme par exemple en Pennsylvanie ou dans le Wyoming. L’exploitation de gaz de schiste impacte donc fortement l’environnement local. Il est important de souligner que les problèmes environnementaux sont étroitement liés à cette forte densité de forages, une particularité de l’exploitation de gaz de schiste. En effet, ce serait mentir de dire que chaque puits d’extraction créera un problème, mais il serait tout aussi mensonger d’affirmer qu’il n’y aura pas de problème.
L’exploitationde gaz de schiste peut également fortement impacter l’environnement d’un point de vue global. En effet, les récents travaux de diverses universités américaines montrent que les puits d’extraction de gaz de schiste présentent des fuites significatives de ce gaz vers l’atmosphère. Compte tenu de ces fuites, il ressort de leurs travaux que pour une même unité énergétique produite, le gaz de schiste émettrait dans l’atmosphère autant de carbone que le charbon. Ce gaz ne serait donc pas l’énergie propre que l’on nous vante pour assurer notre transition énergétique. Cette dernière est pourtant une nécessité dans un contexte où la communauté scientifique nous présente l’évolution de la situation climatique selon un scénario très pessimiste du fait d’une utilisation trop massive d’énergies fossiles.
Appliquéeà la France, une exploitation de gaz de schiste me paraît encore plus dommageable qu’aux États-Unis. La France étant un pays plus petit, une exploitation à grande échelle générerait les mêmes problèmes mais amplifiés du fait d’une plus forte densité de population. Une exploitation générerait alors dans certaines régions des conflits entre les différents utilisateurs de la ressource en eau. Dans d’autres, elle poserait des problèmes de compatibilité avec l’économie des territoires locaux qui repose fortement sur le tourisme et une certaine qualité de vie. Elle me paraît également plus dommageable qu’aux États-Unis car de nombreuses régions concernées par les permis de gaz de schiste en France se caractérisent par la présence de milieux karstiques particulièrement vulnérables et sensibles aux pollutions.
Nous avons tous en tête l’image de ces grottes et gouffres, particularités de ces milieux karstiques. La France rentre dans une période charnière où nos dirigeants devront décider des choix énergétiques de notre futur. Envisager une exploitation intense de ce gaz nécessite d’envisager sérieusement les risques sur notre environnement local et global. Envisager les bénéfices financiers d’une telle exploitation nécessite de considérer les coûts sur le milieu naturel. Envisager une exploitation de gaz de schiste doit aussi interroger finalement sur la société que nous voulons pour demain. En effet, il est très probable qu’une exploitation de gaz de schiste freinerait le développement des énergies renouvelables. Or l’essor de ces dernières m’apparaît comme un formidable levier nous permettant de créer des emplois nouveaux, d’assurer une réelle transition énergétique et in fine de développer une société plus respectueuse de notre milieu de vie.