- 13 avr. 2013
- Le Figaro
- Natacha Polony
Les touristes qui voulaient ce mercredi découvrir le Louvre, temple laïque du rayonnement historique français, ont dû changer de programme. Non, il ne s’agissait pas d’une de ces fameuses grèves pour des revendications salariales, dont certains prétendent qu’elle serait une spécialité de la France, pays nanti, perclus de conservatismes. Les agents du musée faisaient grève pour protester contre les agressions dont ils font l’objet, eux et les touristes qui visitent le musée, de la part de mineurs organisés en bande et de plus en plus sûrs de leur impunité. La pudeur journalistique a empêché nombre d’articles de préciser qu’il s’agit de jeunes gens venus des pays de l’Est, et qui reviennent narguer leurs cibles quand ils ont été relâchés, c’est-à-dire dans l’heure qui suit leur interpellation.
Déjà, il y a quelques jours, on apprenait que la Chine attirait l’attention de la France sur la sécurité de ses ressortissants, qui se font attaquer par les mêmes bandes quand ils viennent visiter notre pays. Un comble ! Ces touristes venus de pays qui prospèrent parce que les usines occidentales s’y sont délocalisées commencent à trouver que nous ressemblons dangereusement à un pays du tiers-monde.
L’ironie prêterait à rire, si l’on n’avait déjà furieusement envie d’en pleurer. Car ces incidents abîment l’image de la France dans le monde bien plus sûrement que l’affaire Cahuzac. Et ce, d’autant plus qu’ils ne sont que l’écume d’une vague qui est en train de submerger les populations les plus exposées à la délinquance, les habitants des cités HLM tenues par les dealers ou ceux des petites banlieues pavillonnaires harcelés par les cambrioleurs.
Les journaux sont pleins, depuis une semaine, de ce beau mot de « vérité ». Les responsables politiques viennent le scander aux micros des radios et des télévisions, jurant la main sur le coeur qu’ils restaureront la confiance indispensable à la pérennité de la République. On en est touché. Mais l’exercice de vérité serait un peu plus probant s’il portait sur les faits qui mettent réellement en danger l’édifice républicain. La fraude et l’évasion vers des paradis fiscaux en font partie, mais elles nécessiteraient des mesures autrement plus importantes que celles annoncées par le président, et qui réclament une action concertée du G20 ou, à tout le moins, d’une Europe qui punit Chypre mais trouve le Luxembourg très respectable.
Mais l’un des devoirs fondamentaux de l’État est aussi, et peut-être avant tout, la protection de ses citoyens. Et dans ce domaine, la vérité est tous les jours bafouée par des gouvernants qui se sont fait une spécialité de manier les coups de menton pour masquer leur impuissance (quand bien même certains s’indignaient de ce genre de comportement chez leur prédécesseur). La vérité, qui est que, dans certains quartiers de Paris, des gens évitent de retirer de l’argent aux distributeurs de peur de se faire agresser. La vérité, qui est que l’explosion des vols à la tire et des cambriolages constatée notamment dans la capitale n’est que la marque de l’impuissance croissante d’un État qui a décidé que police et justice devaient suivre des objectifs contradictoires. La vérité, enfin, qui est que l’acceptation des règles européennes en matière de garde à vue, de droit des étrangers et de contrôle des frontières condamne nos ministres de l’Intérieur à n’être que manchots et cul-de-jatte. En attendant le 1er janvier 2014, où l’Europe lèvera les restrictions à la circulation des populations venues de Bulgarie et de Roumanie.
Le contrat social, on le sait depuis Hobbes, repose sur l’abandon par les citoyens d’une part de leur liberté en échange de la protection de l’État, qui possède le monopole de la violence légitime. Autant dire que ce contrat social est déchiré. Faut-il attendre que certains proclament leur droit à se défendre par leurs propres moyens pour s’en alarmer ? La sécurité est l’apanage d’un pays civilisé. Dans le naufrage qui engloutit notre industrie, notre école et nos emplois, faut-il ajouter le tourisme, qui nous faisait vivre, et, bien pire, la possibilité de vivre en paix, c’est-à-dire l’idée même de civilisation ?