Samedi, Chypre découvrait avec consternation que l’Union européenne et le FMI ont demandé au gouvernement chypriote de lever une taxe (exceptionnelle, bien sûr) de 6 à 10% sur l’ensemble des avoirs bancaires, après un blocage des comptes en banque, pour sauver le système financier de l’île dont la situation économique devient préoccupante. Heureusement, en France, le week-end se passe sans aucun problème ...........
............
Et justement, ce qui ne laisse pas de me surprendre est cette absence de réaction, ou, pour être plus précis, cette réaction particulièrement dosée d’une presse qui n’a pourtant jamais hésité à cogner sur les banques (ultra-néolibérales), les financiers (suppôt du capitalisme démoniaque), le FMI (inféodé à la fois aux politiques turbolibérales de l’Europe et des États-Unis, à Goldman Sachs et au Bilderberg, au moins) ou le reste. Ici, tout semble se passer sur du velours : quelques centaines de milliers d’habitants d’un pays membre de l’Union vont peut-être subir un vol, parfaitement anti-démocratique, en toute décontraction de la part de tous, et personne ne semble vouloir analyser ce qui se passe.
Certes, à mesure que la grogne des habitants de l’île méditerranéenne monte (et alors que tous les ingrédients d’un bank run se mettent en place), que l’opposition au projet de loi scélérate s’organise, quelques articles apparaissent pour camoufler, peut-être, l’indigence des réactions initiales des médias : il y a protestations, et éventuellement matière à relater les bouillonnements populiste d’une foule mécontente devant son élite gouvernementale (et ça, ça fait vendre, coco !) …
Mais quand bien même : trois points ne sont toujours pas développés. Pourtant, ils sont essentiels dans ce qui se passe à Chypre et éclairent notre avenir d’une lumière bien triste.
Ainsi, je n’ai pas encore vu, à cette heure, d’article expliquant pourquoi ce qui se passe là-bas, et qui ne concerne qu’un gros million de personnes, pourrait fort bien se passer en France dans quelques mois, ou, a contrario, pourquoi la France pourrait éviter ces affres financières.
Je n’ai pas entendu de comparaison de l’état économique catastrophique de l’île avec celui de la France, de la Belgique, de l’Italie ou de l’Espagne, alors qu’il y aurait matière à faire le rapprochement, d’autant que les banques françaises, espagnoles, belges ou italiennes ont plusieurs fois défrayé la chroniques et pas pour leurs résultats sains et équilibrés…
La presse semble marcher sur la pointe des pieds autour de ce sujet-là, pourtant si évident : rien n’interdit qu’un petit samedi matin, dans les mois, les semaines qui viennent, les Français se retrouvent devant des comptes bloqués, des distributeurs automatiques qui ne leur distribuent que des excuses et que tous doivent attendre le mardi suivant pour récupérer leur compte en banque, délesté de 4, 6, 10% …
Non, décidément, le nombre de personnes concernées, la taille des comptes et la puissance des banques ne sont pas des garanties que ce qui arrive à Chypre n’arrivera pas en France.
L’autre point évident, c’est qu’encore une fois, on assiste à une socialisation parfaitement scandaleuse des pertes de certains. Un gouvernement, une brochette de politiciens, quelques banquiers véreux, approximatifs ou incompétents, ont placé le pays dans une situation inextricable. Ils ne seront pas inquiétés. Ils ne seront pas poursuivis. Ils ne seront pas tenus pour responsables. Ils ne seront pas ruinés, leurs comptes saisis et leur capacité de nuisance réduite à zéro. Grâce à la socialisation des pertes, si typique d’un capitalisme de connivence qui ne marche que dans des démocraties sociales et socialistes indubitablement corrompues, tous les petits problèmes de ces aigrefins seront résolus sans douleur (pour eux).
Et surtout, ce ne seront pas les impécunieux, les dilettantes, les endettés et les voleurs qui sont le plus punis de ce genre de pratiques. Ce seront encore ceux qui ont été prévoyants, qui ont précautionneusement épargné, mis de côté, qui paieront les pots cassés. Au passage, on admirera l’énorme gain de confiance joyeux dans le système bancaire qui va résulter de ce genre d’opérations. De ce point de vue, ce qui se passe à Chypre est une excellente piqûre de rappel pour tous les Européens : en matière de monnaie, les États ont tous les droits et les particuliers, aucun.
Un dernier point me semble évident :
la situation économique française me semble
suffisamment mauvaise pour ne pas écarter, comme à
Chypre, l’éventualité d’une ponction généralisée sur les
comptes ; elle se met d’ailleurs en place, avec
discrétion, sur le livret A et sur les assurances-vie.
Au vu de la façon dont cela s’est passé là-bas, et de la façon dont c’est relaté ici, ne comptez pas sur la presse pour vous prévenir. Ne comptez pas sur ces individus qui prétendent vous informer. Quand ils vous en parleront, il sera déjà trop tard.