Je connais des parents qui ont dû changer leurs enfants d’établissement, parce qu’on voulait leur faire la peau BRUNO BESCHIZZA, SOUS-PRÉFET
Elle n’allait tout de même pas leur avouer qu’elle était « entièrement » française ! Elle, la seule Blanche de la classe, constamment asticotée par ses camarades, dans ce lycée professionnel des Hauts-de-Seine, mise à l’écart parce qu’elle n’était « pas comme eux » . Alors cette petite brune au « prénom typiquement français » a invoqué son grand-père immigré… italien. Cela n’a pas suffi. « Gauloise » , « blanc d’oeuf » ou « toubab » (mot utilisé en Afrique pour désigner les Blancs), les quolibets n’ont pas cessé. « Un ancêtre africain, ç’aurait été mieux… » , lâche-t-elle, un peu honteuse.
« Un racisme anti-Blancs se développe dans les quartiers de nos villes, s’insurge le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, dans son Manifeste pour une droite décomplexée. Des individus méprisent des Français qualifiés de “gaulois”, au prétexte qu’ils n’ont pas la même religion, la même couleur de peau ou les mêmes origines qu’eux » . Plus d’un Français sur deux (56 %) en sont bien conscients, d’après un récent sondage. Selon une enquête de l’Ined, 18 % de la population « majoritaire » auraient d’ailleurs déjà été « la cible d’insultes, de propos ou d’attitudes racistes » . Mais qui entend leurs souffrances ?
« Le pire, c’est que c’est intégré »
Le phénomène n’est pas nouveau. « On a parlé de David, on a parlé de Kader mais qui parle de Sébastien ? » , s’étaient interrogées, en 2005, dans un « Appel contre les ratonnades anti-Blancs » (après des dérapages en marge de manifestations lycéennes), des personnalités marquées à gauche comme Bernard Kouchner, l’éditorialiste Jacques Julliard ou le philosophe Alain Finkielkraut. Tollé parmi les intellectuels de gauche, qui dénoncèrent « une lepénisation des esprits ». La même année, le député - aujourd’hui sénateur - de Moselle François Grosdidier a aussi eu « le souci de briser ce tabou-là ». Associé à 200 parlementaires UMP, il dépose une plainte auprès du ministère de la Justice, accusant neuf groupes de rap de promouvoir le racisme anti-Blancs. « J’ai envie de dégainer sur des f.a.c.e.s. d.e. c.r.a.i.e./ Dommage (…) que ta mère ne t’ait rien dit sur ce putain de pays/Me retirer ma carte d’identité, avec laquelle je me suis plusieurs fois torché » , scande par exemple le groupe Ministère Amer dans sa chanson Flirt avec le meurtre. À Woippy, sa ville aux 70 % de logements sociaux et aux dizaines de nationalités, le député a constaté que « les jeunes écoutaient ça toute la journée, et n’avaient ni le recul ni la formation nécessaires pour le prendre au deuxième degré » . Sa plainte n’aboutira pas,
comme d’ailleurs, apparemment, aucune des rares plaintes pour « racisme anti-Blancs ».
Si aujourd’hui on entend moins les rappeurs orduriers, les apostrophes comme « toubab », « kouffar » (infidèles) ou « Gaulois » ne choquent plus dans les cités. « Le pire, c’est que c’est intégré, affirme François Grosdidier. Chez les jeunes, on en rigole. C’est plus rare entre adultes, mais il arrive que des policiers ou des enseignants soient victimes d’agressions racistes, verbales et parfois physiques. Le comble, c’est cette Maghrébine que j’ai dû faire poursuivre parce qu’elle avait été très grossière avec une policière municipale d’origine antillaise, en s’en prenant à sa nationali
té ! » Au Raincy (Seine-Saint-Denis), son collègue Éric Raoult, ancien ministre UMP chargé de l’Intégration, est aussi « confronté tout le temps à cela » . « Plusieurs fois, j’ai été obligé de ramener l’ordre dans un mariage, parce que les familles venaient avec des drapeaux étrangers, raconte-t-il. Il y a une volonté de prouver à ceux qui sont les plus nombreux qu’ils sont en fait minoritaires. »
Selon le sociologue Tarik Yildiz, auteur de Le Racisme anti-blanc : ne pas en parler, un déni de réalité, « le phénomène se développe d’année en année » . « C’est le fait des deuxième et troisième générations d’immigrés, précise-t-il. Cela vient d’un manque de repères, d’autorité, d’une démission de l’État dans certains quartiers. Si on n’est pas arrêté dès l’adolescence, âge où l’on teste les limites, on va toujours aller plus loin. »
Cela peut commencer par « une petite humiliation dans la cour de l’école, un regard de travers, un coup d’épaule dans un wagon, indique Bruno Beschizza, sous-préfet, élu de Seine-Saint-Denis et ancien secrétaire général du syndicat de police Synergie-officiers. Derrière ce type de racisme, il y a tout ce qui peut représenter notre société occidentale : un flic, comme un gamin qui bosse bien. Si l’on s’en prend au petit Blanc, c’est parce qu’il symbolise le monde qui s’en sort » .
« Les associations craignent le sujet »
Mais s’en sort-il vraiment, le « petit Blanc » qui se fait traiter de « bolos » (pigeon), d’ « Aryen » ou de « Français de m… » et parfois agresser à la récréation ? « Je connais des parents qui ont dû changer leurs enfants d’établissement, parce qu’on voulait leur faire la peau » , raconte Bruno Beschizza. « J’ai moi-même assisté à cela, dans mon collège, à la cité des Grèves, l’une des plus problématiques du 92, se souvient Tarik Yildiz. Je pense notamment à un collégien qui, seul Blanc en 6e, a été pris à partie par les autres. “Sale mangeur de porc !”, lui criait-on, avant que les insultes se transforment en violences physiques. Il n’a pas pu déménager tout de suite, a eu beaucoup de difficultés scolaires et aujourd’hui encore, en garde des séquelles. C’est de plus en plus une réalité en banlieue. À tel point que pour avoir la paix, certains jeunes Français s’inventent une origine métissée ! »
La plupart des victimes n’osent rien dire, par peur de représailles, ou tout simplement parce qu’elles pensent qu’elles ne seront pas prises au sérieux. « Tous ont le sentiment de ne pas compter dans la société, d’être totalement délaissés, et surtout l’impression d’un “deux poids-deux mesures”, analyse le jeune sociologue. Car il existe dans l’inconscient collectif une sorte de schéma avec les “dominants” et les “dominés”, et que, pour beaucoup, les “dominés” ne peuvent pas être des bourreaux. Mais peut-on considérer que des familles modestes, Français de souche vivant dans des quartiers défavorisés, fassent partie du groupe des “dominants” ? Alors, quand on leur parle toute la journée du racisme dans les cours d’instruction civique, et que ceux-là ne peuvent pas s’exprimer, cela a des effets très néfastes ».
Dans les quartiers Nord de Marseille, Fabien est confronté à ce genre de racisme « presque quotidiennement » . « Plusieurs fois, dans le métro, j’ai dû subir des “sale Gaulois”, “mécréant” ou d’autres injures en arabe, rapporte ce fonctionnaire quadragénaire. Une fois, ils ont même sorti un couteau, j’ai pris un coup de bouteille de Coca-Cola sur la tête et un coup de poing sur la tempe. Des inscriptions “va crever, Français”, il y en a jusque sur les murs de ma rue. Alors bien sûr, j’aimerais déménager, mais mon appartement est invendable… » Porter plainte ? « J’ai essayé, ça a été classé. Pour de telles agressions, les policiers ne se déplacent même pas, soupire-til. Quant aux éventuels témoins, ils se débinent. Si ce phénomène est en croissance exponentielle, les citoyens en sont aussi un peu responsables, par leur immobilisme, leur manque de rébellion » .
Contacter des organisations antiracistes ? « A SOS-racisme, on m’a répondu que le racisme anti-Blancs n’existait pas, s’exaspère Sophie. Que c’était moi la raciste, qui dénonçait des immigrés ! » Cindy Leoni, la nouvelle présidente de l’association, veut bien concéder l’existence d’un « racisme envers les Blancs » , mais surtout pas d’un « racisme anti-Blancs » , un « vocable emprunté à l’extrême droite ! » « De toute façon, c’est très rare, assène-t-elle, et cela se cantonne à des insultes. N’allez pas nous faire croire qu’il est plus difficile d’être blanc qu’immigré ! »
Ni le Défenseur des droits, ni le Mrap n’ont jamais été saisis pour racisme anti-Blancs. « Les associations craignent ce sujet, avoue Pierre Mairat, coprésident du Mrap, car elles hésitent à montrer du doigt une population déjà stigmatisée. Mais si on veut lutter contre le racisme, on ne doit s’affranchir d’aucune problématique. Ce racisme-là, même s’il n’est pas systémique, mais sporadique, n’en participe pas moins à la racialisation de la société. »
La Licra sera partie civile, le 26 octobre, dans une de ces rares affaires. « Il s’agit d’un jeune homme agressé à l’arme blanche il y a deux ans, gare du Nord, par trois individus, raconte son avocate, Me Naïma Moutchou. Aux cris de “sale Français”, “Gawerer” (« sale Blanc » en arabe). Nous avons l’espoir d’obtenir une condamnation, car il y a des témoins ». Président de la Licra, Alain Jakubowicz reconnaît que « ces petits voyous-là font un mal énorme à la France ». « C’était une erreur de ne pas parler de ce phénomène, de le laisser exploiter de manière honteuse par le FN, conclut-il. Sans pour autant les mettre au même niveau que les discriminations dont font l’objet les immigrés, il faut dire les choses. On a culpabilisé à outrance trop de nos concitoyens. »