Non, vous n’êtes pas en 1990, mais bien en 2012. Et comme on ne peut pas soupçonner Vincent Peillon d’être maoïste, il vient d’inventer le grand bond en arrière
Les paroles étaient superbes et l’on voulait y croire. Parce qu’il y avait bien longtemps que la gauche n’avait pas prononcé les mots de république, de morale, de mérite et d’autorité. Et parce qu’elle en a tellement besoin, d’une refondation, cette école qui n’a plus de républicaine que le nom. Faut-il encore le répéter ? La France, plus que tout autre pays, accentue l’enfermement social : un enfant de pauvre y risque l’échec scolaire davantage que dans n’importe quel autre pays de l’OCDE. Le nombre d’élèves en grande difficulté augmente à chaque enquête statistique. Les enseignants y sont mal payés, épuisés. Et les violences qui devraient nous sembler intolérables, entre élèves ou contre les professeurs, appartiennent désormais à une litanie quotidienne. On s’habitue à tout.
Quand Nicolas Sarkozy avait été élu en 2007, c’est notamment parce qu’il avait su parler aux Français de leur école, celle en laquelle ils veulent encore croire. Celle qui a appris à lire, bon an mal an, à des générations de gamins qui parlaient à la maison l’occitan, le basque ou le breton. Celle qui offrait à tous les bases d’une culture commune, et faisait de petits Italiens ou de petits Polonais les héritiers de La Fontaine et de Victor Hugo. Celle qui, certes, endoctrinait avec une vision simpliste de l’histoire, mais permettait à des maçons et à des ouvriers de se sentir propriétaires du Louvre ou de Versailles, du moulin de Valmy et des tranchées de 14. Celle, enfin, qui certes triait les enfants en fonction de leur milieu social, mais avait transformé des fils de paysans en instituteurs et même en normaliens ; ce que l’école égalitaire d’aujourd’hui est incapable de faire.
Et même s’il avait déjà moqué La Princesse de Clèves et fait du sport le principal modèle pour une jeunesse en manque de valeurs, beaucoup y avaient cru. C’était avant la réforme du lycée et celle de la formation des maîtres.
En 2012, c’est François Hollande qui a su capitaliser sur le discours républicain. Souvenez-vous du discours d’Orléans ! Les socialistes réinvestissaient l’histoire. Puis il y eut le premier geste symbolique du président, au pied de la statue de Jules Ferry. Quelques mauvais esprits pensèrent en leur for intérieur que Condorcet eût été un choix plus judicieux pour incarner la vérité de l’idéal républicain, mais il ne fallait pas trop en demander. Bien sûr, les journalistes chargés des rubriques éducation peinaient à identifier une mesure concrète qui aurait permis de déterminer le projet exact de Vincent Peillon. Mais les plus indulgents assuraient qu’avec la grande concertation tout cela se décanterait.
Eh bien ça y est. C’est décanté. Trois mois de concertation, des centaines de personnes réunies à la Sorbonne, des débats dans toute la France, et le résultat est tombé par la voix du président lui-même : plus de devoirs à la maison, plus de redoublements, plus de notes. Et pour ne rien gâcher, retour des IUFM et de l’Institut national de la recherche pédagogique, qui ont fait tant de bien aux professeurs, et recréation de l’Institut national des programmes, qui a produit des usines à gaz pétries d’idéologie constructiviste.
Non, vous n’êtes pas en 1990, mais bien en 2012. Et comme on ne peut pas soupçonner Vincent Peillon d’être maoïste, il vient d’inventer le grand bond en arrière.
Les plus cyniques diront qu’en choisissant pour présider aux destinées de cette grande concertation Christian Forestier, apparatchik inamovible comme seule sait en produire la Rue de Grenelle, de ceux qui ont fait tous les régimes, et Nathalie Mons, dernière représentante de ces sociologues qui habillent leur idéologie des oripeaux objectifs de la science, en les choisissant, eux, Vincent Peillon avait déjà donné des indications qui auraient dû déciller les yeux des plus naïfs.
Tentons une plaidoirie : IUFM, INRP, Conseil national des programmes ne sont pas de mauvais outils. Ce qui importe est le pluralisme qui y régnera, la capacité à déterminer honnêtement les méthodes qui marchent – car c’est là le nerf de la guerre. Mais qui croira que les idéologues qui n’ont jamais quitté la Rue de Grenelle et surtout pas ces deux dernières années, mais rêvaient quand même de revanche, sauront se guérir de leur sectarisme ? On va dans le mur ? Accélérons ! Tout s’écroule ? La faute aux méchants conservateurs qui ont freiné la belle révolution pédagogique. Refondation de l’école : les paroles étaient belles, mais elles furent semées au vent.