- 5 févr. 2013
- Le Figaro
- ANNE FULDA afulda@lefigaro.fr
La philosophe, épouse de Lionel Jospin, monte au créneau contre la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui pour les homosexuels. Elle reste à gauche, mais n’entend pas céder à « l’intoxication idéologique ».
Qu’est-ce qui nous attend si nous oublions la dignité de la personne et de son corps ?
SYLVIANE AGACINSKI
En réalité, je pense qu’il y a énormément de gens de gauche qui sont extrêmement sceptiques sur ce projet. Je crois que le gouvernement s’est fourvoyé en unissant d’entrée de jeu le mariage et l’adoption, ce qui constitue immédiatement les deux époux comme un couple
Bravant le poids des intérêts catégoriels et des automatismes partisans, voici Sylviane Agacinski regardée avec des yeux doux par les mêmes qui la fustigeaient il y a peu de temps encore.C'était le 25 janvier sur Europe 1. D’une voix claire et posée, Sylviane Agacinski, philosophe, et, doit-on encore le mentionner, femme de Lionel Jospin, osait briser le plafond de verre du politiquement correct de gauche. Et s’emportait, comme elle le fit quelques jours plus tard sur RTL, puis au «Grand Journal» de Canal +, contre cette espèce de
terrorisme intellectuel, « d’intoxication idéologique très pesante, très impressionnante » selon laquelle si vous n’êtes pas favorable au projet gouvernemental « vous êtes forcément de droite, forcément réactionnaire, forcément religieux et même intégriste ! »
Sylviane Agacinski, la Frigide Barjot de gauche ? La nouvelle égérie des opposants au mariage pour tous ? Et pourquoi pas ? Bravache, l’intellectuelle - dont la tribune publiée dans Le Monde était brandie ce week-end par des députés UMP goguenards - ne tord pas le bout de son nez lorsqu’on lui fait remarquer qu’elle se retrouve de facto dans le camp de ceux que certains voudraient dépeindre comme les représentants d’une France rabougrie et passéiste. De gauche, toujours, elle se dit même prête à descendre dans la rue, à battre le pavé auprès de ces familles traditionnelles qui ont afflué de toute la France vers le Champ-de-Mars, pour dire leur opposition à ce projet de loi gouvernemental. Ce qui est important, explique-t-elle, «ce n’est pas la question de savoir qui on rejoint, mais de savoir au nom de quel principe on parle» . Alors, non, celle que l’on a longtemps caricaturée comme une femme savante des temps modernes, celle que Valérie Trierweiler, très en pointe dans le combat en faveur du mariage pour tous, a longtemps citée en exemple, elle, la femme indépendante et contemporaine, elle qui « était la femme de Jospin mais avait en même temps sa propre existence»,
n’est guère émue de se retrouver dans le même camp que cette France-là.
Et qu’importe si Jack Lang, excédé, lui lance, à bout d’arguments, sur le plateau de Canal +: «Enfin, on n’est plus à l’époque du droit romain, quand même! Sylviane, ce n’est plus la Sainte Famille ! » Qu’importe aussi si elle doit fustiger les propos de Pierre Bergé qui a déclaré sans ciller, au sujet de la gestation pour
autrui : « Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence?» Elle réplique, cinglante : «À chaque fois qu’il y a une utilisation de la vie d’une femme pour porter un enfant, elle est toujours rémunérée, donc socialement, c’est insupportable. On sait très bien quelles sont les femmes qui, à ce moment-là, sont utilisées.»
Être une philosophe poil à gratter, une féministe biberonnée au Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, mais qui n’hésite pas à aller à l’encontre de la doxa que voudrait imposer une petite élite parisienne (à laquelle elle peut sembler appartenir pourtant), n’est pas pour lui déplaire. On l’a vu, lors de ses dernières interventions médiatiques, l’ancienne enseignante,
auteur de La Politique des sexes (Seuil 1998), oppose des arguments de fond. Si elle se dit favorable au mariage des homosexuels, elle insiste cependant sur
la nécessité de « distinguer le processus de la filiation et le mariage» . On ne peut pas «faire comme si la logique traditionnelle du mariage pouvait s’appliquer aussi bien dans le cas d’un couple du même sexe que dans le cas d’un couple avec un homme et une femme». Et de poursuivre: «Le schéma du rapport parents/enfants vient du modèle naturel biologique de la procréation. C’est la raison pour laquelle la filiation, même quand ce ne sont pas les vrais géniteurs, est faite sur ce modèle. C’est une structure qui n’est pas mathématique. Ce n’est pas un plus un. Ce n’est pas quantitatif, c’est qualitatif.» «Les parents, comme les géniteurs, ne sont pas interchangeables», répète inlassablement la philosophe, convaincue que l’adoption ouvre la porte à la procréation médicalement assistée (PMA).
À dire vrai, cela fait quelque temps déjà que Sylviane Agacinski rencontre un petit succès auprès de publics qui ne lui sont a priori pas acquis. Elle a exposé et explicité son hostilité à la gestation pour autrui dans son livre Le Corps en miettes (Flammarion), paru en 2009, au moment des états généraux de la bioéthique : « Dans l’imaginaire biotechnologique, l’enfant n’est plus qu’un produit fabriqué à partir de miettes : sperme, ovocytes, utérus. Qu’est-ce qui nous attend si nous oublions la dignité de la personne et de son corps?»
Déjà provocatrice, elle interpelle, en 2010 sur France Inter, face à une Audrey Pulvar décontenancée, le « peuple de gôche » , qui approuverait la gestation pour autrui (GPA) : « J’en appelle aux gens de gauche et à la perspective marxiste d’aliénation : qu’est-ce que mettre sa vie à disposition pendant neuf mois ? N’est-ce pas une servitude ? » En novembre,enfin, elle a fait un tabac, comme le relate
La Croix, aux Semaines sociales consacrées au thème «Hommes et femmes, la nouvelle donne», en s’opposant à la possibilité de procréation médicalement assistée et à la gestation pour autrui.
Drôle de cheminement tout de même. Il y a plus de dix ans, un siècle, une éternité, Sylviane Agacinski apparaissait pour beaucoup comme la caricature de la femme de gauche bien-pensante. La bobo de Saint-Germain-des-Prés, chevauchant à vélo les rues du VIe arrondissement de Paris comme les petits chemins de l’île de Ré, toute de Sonia Rykiel vêtue et bardée de certitudes. L’agrégée de philosophie qui avait eu, à 38 ans, un enfant du philosophe Jacques Derrida et qui, comme elle le concédait à
Libération, avait « tout fait à l’envers, le célibat, puis un enfant, puis un mariage avec un autre» , n’avait pas que des amis à droite.
Autres temps, autres moeurs. Bravant le poids des intérêts catégoriels et des automatismes partisans, la voici regardée avec des yeux doux par les mêmes qui la fustigeaient il y a peu de temps encore. Et qui ont retrouvé avec amusement ce que disait Jospin en 2004. À l’époque, se déclarant opposé au mariage homosexuel, il s’élevait contre « la nouvelle tentation bien-pensante, voire une crainte de l’imputation homophobe, qui pourrait empêcher de mener honnê
tement la discussion » . De la modernité du couple
Jospin…