« La mort stupide eut honte », comme dans le poème de Victor Hugo. Les boutefeux de la croisade anti-Bachar el-Assad, et plus généralement tous ceux qui, de par le monde, aiment d’autant plus la guerre qu’ils la font moins et qu’ils ne la paient jamais que de la peau des autres, peuvent rengainer leur grand sabre et déchausser leurs bottes.
Depuis quelques jours pourtant, le pire paraissait sûr. Les dés avaient été jetés. Lié par les paroles imprudentes qu’il avait prononcées et les engagements irréfléchis qu’il avait pris, poussé au crime par ses alliés arabes, turcs et israéliens, le grand timonier de l’Occident avançait à contrecœur, à pas comptés, à reculons, mais il marchait inexorablement vers l’abîme. Après le Vietnam, l’Irak, l’Afghanistan, les États-Unis s’apprêtaient à mettre le doigt dans l’engrenage d’une nouvelle guerre et d’une nouvelle folie.
Certes, l’aval de l’ONU leur manquait, ils n’étaient pas parvenus à mettre sur pied une nouvelle coalition. Sans l’Allemagne, l’Italie, le Canada, l’Australie et les pays membres de l’OTAN, ils ne pouvaient compter que sur les deux chiens couchants que sont depuis des années la Grande-Bretagne et la France ; soit une communauté réduite aux laquais, en somme. La machine infernale n’en était pas moins lancée.
Déjà, sur les bases de Chypre, de Djibouti et d’Abou Dhabi, les réacteurs des avions de chasse à cocarde tricolore vrombissaient, déjà les porte-avions et les destroyers frappés de l’étoile blanche pointaient leurs missiles sur les cibles repérées par les drones. Rien ne semblait pouvoir arrêter le processus classique d’une de ces guerres dont l’historien saura quand elle a fini, mais dont le politique ne sait ni où ni quand elle s’arrêtera.
Le coup d’arrêt est venu d’où on n’osait plus l’espérer. La Chambre des communes, en désavouant David Cameron, a coupé l’herbe sous le pied d’Obama. Qu’est-ce qui a déterminé la formation d’une majorité d’idées où travaillistes, libéraux et conservateurs rebelles ont mêlé leurs bulletins ? Le refus de se lancer dans une telle aventure sans le feu vert de l’ONU ? La prise de conscience des risques encourus et des conséquences possibles ? La prise en considération des moyens de défense et de riposte de la Syrie et de ses alliés ? L’envoi sur zone de navires de guerre russes ? Le poids d’une opinion publique majoritairement hostile aux opérations envisagées ? La volonté, à la lumière des mensonges du passé, de ne passer aux actes, à la fameuse « punition », que s’il y a des preuves ?
Un peu de tout cela, sans doute, mais par-dessus tout la conviction que les élus de la nation détenteurs de la légitimité populaire et du pouvoir législatif ne sont pas tenus en toute circonstance de se plier aux injonctions de l’exécutif. L’Angleterre s’est souvenue jeudi soir qu’elle est la mère des Parlements. Elle a donné au Premier ministre et au monde une leçon de démocratie.
En France comme de l’autre côté de la Manche, comme de l’autre côté de l’Atlantique, une majorité de la population rejette la politique du pire. Nous verrons bien mercredi prochain si la majorité de l’Assemblée nationale est capable d’un sursaut identique à celui des Communes, ou si elle se résigne à suivre, la queue basse, les consignes d’un gouvernement et d’un chef d’État eux-mêmes à la remorque d’un capitaine de vaisseau qui a perdu le cap.