· 8 janv. 2013
Le Figaro
PASCAL PERRINEAU DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
La défiance est sévère au sein des couches populaires,
chez les électeurs du Front de gauche et ceux des Verts
« Le pouvoir gouvernemental semble, à tort ou à raison, mal tenu en mains : le duo président-premier ministre peine à trouver son rythme, la discipline gouvernementale laisse à désirer et la majorité » parlementaire connaît des lézardes
Avec 35 % de Français qui déclarent lui faire confiance,
en décembre 2012, pour « résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement » ,
François Hollande est le président de la République le plus impopulaire après sept mois d’exercice du pouvoir.
Depuis plus de trente ans, la Sofres mesure régulièrement, chaque mois, la confiance envers le président.
Aucun président n’a eu aussi peu de soutiens à l’issue de l’année de son élection
: François Mitterrand, en 1981 et 1988, dépassait largement la barre des 50 % (57 % et 58 %), Nicolas Sarkozy était fin 2007 à 49 %, Jacques Chirac en 2002 atteignait encore 47 %.
Seul Jacques Chirac, en 1995, avait subi la tourmente du mouvement social de novembre-décembre 1995 et se retrouvait à 39 % de confiance. En l’absence d’un tel contexte de protestation sociale, l’actuel président de la République se situe encore plus bas.
Ce niveau historiquement faible fait prendre conscience de l’ampleur du désaveu : en sept mois François Hollande a perdu 20 points,
seul Jacques Chirac, en 1995, avait encore perdu davantage (25 points).
Cette érosion vertigineuse est générale mais particulièrement accentuée dans les couches populaires (-35 points chez les ouvriers, -27 chez les employés), dans les couches supérieures des classes moyennes (-29 chez les Français appartenant à la catégorie moyenne supérieure des revenus), chez les personnes âgées (-25) et chez les électeurs proches du Front de gauche (-42) et d’Europe Écologie-Les Verts (-33).
Au fond, la base sociale et politique de la gauche présidentielle est en train de se fissurer profondément.
À cette défiance qui touche les « fidèles » il faut ajouter celle des « aînés » qui traditionnellement accordent par légitimisme leur confiance au nouveau président élu et celle de classes moyennes supérieures qui sentent qu’ils porteront l’essentiel du fardeau fiscal.
En revanche, dans les catégories aisées de par leurs revenus ou la culture, l’érosion est plus faible ainsi que parmi les sympathisants de droite où la confiance avait été chichement comptée au lendemain de la victoire du 6 mai 2012.
François Hollande tient mieux dans la bourgeoisie et les élites que dans le peuple.
Il y a là un élément inquiétant pour l’avenir de la gauche au pouvoir.
La « forme » présidentielle
Ce délitement obéit à la fois à des raisons de forme et de fond. La « forme » présidentielle est exigeante sous la Ve République. Nicolas Sarkozy qui avait cru subvertir la solennité de la fonction l’avait découvert à ses propres dépens. François Hollande, en voulant mettre en oeuvre une « présidence normale » (réduction des salaires de l’exécutif, utilisation de moyens de transport modestes, communication à faible intensité…), n’a pas convaincu et a pu donner l’impression qu’il n’était pas « à la hauteur » de la fonction.
Interrogés en décembre 2012 par l’institut OpinionWay pour la 4e vague du baromètre de confiance du Cevipof
33 % seulement des personnes interrogées
considèrent qu’il « a l’étoffe d’un président de la République »
(-9 points par rapport à octobre 2011).
Pour 60 % des mêmes personnes, François Hollande les « inquiète »
(+27 points par rapport à octobre 2011).
Cette montée de l’inquiétude est impressionnante.
Indépendamment du style d’exercice du pouvoir, le « fond » de celuici participe de la vague d’inquiétude. Le pouvoir gouvernemental semble, à tort ou à raison, mal tenu en mains : le duo président-premier ministre peine à trouver son rythme, la discipline gouvernementale laisse à désirer et la majorité parlementaire connaît des lézardes.
Dans un contexte de crise économique et financière hors du commun, ces flottements politiques sont sévèrement sanctionnés par l’opinion et renforcent le sentiment que les politiques mises en place sont inefficaces.
Dans un sondage réalisé le 21 décembre par BVA pour i-Télé,
40 % des Français interrogés considèrent que Nicolas Sarkozy a mené la « politique la plus efficace »,
22 % seulement pensent de même pour François Hollande,
31 % pensant qu’ils sont « aussi inefficaces l’un que l’autre ».
Trois millions de chômeurs
Cette crise de confiance par rapport au pouvoir présidentiel s’est brusquement accentuée en septembre dernier (-15 points de confiance de septembre à décembre) et va de pair avec l’annonce du dépassement de la barre symbolique des trois millions de chômeurs.
Le nouveau président a été pris dans un effet de tenaille entre une politique classique de relance de la demande (hausse du smic, augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, recrutement d’enseignants…) qui ne convainc pas et une politique d’austérité, véritable « stratégie de l’offre » assumée comme telle lors de sa conférence de presse du 13 novembre ( « il faut que notre offre soit plus compétitive et je l’assume » ) qui prend à rebrousse-poil tout une partie d’un électorat de gauche peu accoutumé aux vertus proclamées du « social libéralisme ».