Le bloc-notes d'Ivan Rioufol

La rupture est consommée entre les «élites» et la société civile récalcitrante. Les coups, qui pleuvent dru sur le peuple indocile, empêchent une réconciliation. En 2005, ceux qui refusaient de ratifier le traité européen avaient été ainsi injuriés par les esprits éclairés, qui allaient perdre le référendum. Cette fois, la haine et le mépris se bousculent chez ceux qui réclament le respect pour eux-mêmes. Parce que les citoyens n'adhèrent pas à la propagande sur les bienfaits de l'immigration et de l'islam en France (dans une enquête Ipsos-Cevipof, ils sont 70 % à dire qu'il y a trop d'étrangers, et 74 % à juger cette religion intolérante et incompatible avec la société), voilà les sermonneurs qui les traitent de ploucs racistes et xénophobes. De salauds, en somme. Les anti-mariage gay sont pareillement injuriés. Mais où sont les «débats dignes» réclamés par Harlem Désir au nom du PS? La civilité des manifestants du 13 janvier est à comparer à l'agressivité, la vulgarité, l'intolérance observées parmi ceux qui, beaucoup moins nombreux, ont défilé dimanche pour le mariage pour tous, à l'appel des partis et des syndicats de gauche (voir mon blog). Quand Bernard-Henri Lévy délégitime les opposants en parlant d'une «marée noire de l'homophobie ancestrale», il recourt au même procédé de la diabolisation qu'utilisent les exaltés d'Allah quand ils invoquent l'«islamophobie» pour rendre les critiques irrecevables. Ainsi procèdent, par la victimisation des uns et la culpabilisation des autres, les communautaristes en quête de visibilité et de droits spécifiques. La salissure de l'autre est leur règle.
Cette violence intellectuelle, héritière de la pensée totalitaire, est celle d'un petit nombre qui se protège par l'intimidation et le dénigrement. Ce sont ses mensonges sur les bienfaits du multiculturalisme ou sur l'état réel de la nation que dénonce aujourd'hui la France réveillée. Là sont les raisons du divorce entre les puissants du moment et le peuple: 85 % des citoyens estiment que leurs représentants ne tiennent pas compte de leur avis ; trois sur quatre jugent que les journalistes sont «coupés des réalités et ne parlent pas des vrais problèmes des Français».
Faudra-t-il que le peuple descende encore dans la rue? La morgue des parvenus, incapables d'admettre que les faits contredisent leurs certitudes, procède de l'aveuglement qui les habite. «Les ingrédients du populisme sont là», assure l'historien Michel Winock (Le Monde) en commentant les inquiétudes face au déclin et au mondialisme et les demandes, à droite comme à gauche, d'un «vrai chef pour remettre de l'ordre». Mais ces «oubliés», coupables de mal-vivre, ne sont pour rien dans les désastres créés par ceux qui auront fait répéter: «L'immigration est une chance pour la France», «L'islam est une religion de paix et de tolérance». Cette société affaiblie est leur bilan. Or voilà la même pensée officielle qui assène: «Le mariage homosexuel répond aux aspirations de la société». Elle a trop triché.
Abus de confiance à l'Assemblée
L'abus de confiance, qui caractérise la pensée labellisée, se retrouve dans ce projet de loi discuté par les députés depuis mardi. Les Français sont priés de croire que le mariage homosexuel et l'adoption sont largement soutenus par la société, qui néanmoins ne sera pas autorisée à se prononcer par référendum. Ils sont priés de croire aussi que le projet n'autorisera ni la procréation médicalement assistée (PMA), ni encore moins la gestation pour autrui (GPA), ces deux techniques réclamées avec le reste par le lobby gay. En réalité, comme l'a regretté mardi la philosophe Sylviane Agacinski, épouse de Lionel Jospin, l'État a «cédé trop facilement à des pressions militantes». C'est pour soutenir une communauté influente que François Hollande défend cette réforme impensée, dont les conséquences humaines n'ont pas même été évoquées. Ce n'est que vendredi que le chef de l'État s'est résolu à demander l'avis du Comité consultatif national d'éthique, à propos de la PMA. Ce même jour, Christiane Taubira, garde des Sceaux, recommandait par circulaire de reconnaître comme Français des enfants nés de mères porteuses (GPA) à l'étranger…
Comme le rappelle Henri Guaino (UMP) à l'adresse du président: «Votre loi n'a qu'un seul et unique but: donner le droit aux couples homosexuels d'avoir des enfants dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels.» C'est pourquoi le gouvernement n'est pas crédible quand il dit vouloir s'en tenir au mariage et à l'adoption. Élisabeth Guigou, ex-garde des Sceaux socialiste, reconnaît qu'elle était insincère quand elle déclarait en 1998: «Un enfant a droit à un père et une mère.» Elle explique aujourd'hui: «À l'époque, notre objectif était, pour faire accepter le pacs, de le dissocier de la filiation.» C'est la même méthode déloyale qu'emploie le pouvoir en dissociant le mariage des procréations artificielles pour convenances personnelles, réclamées par une minorité tyrannique au nom d'une égalité absurde. La PMA devrait d'ailleurs être abordée dans un prochain projet de loi sur la famille. À quand les recours pour vices cachés ou garanties décennales pour les enfants mal fabriqués? Il est encore temps de suspendre cette marche infernale.
Le bunker européen
L'incompréhension n'est pas réservée à ces castes réfugiées dans leur conformisme. Les dirigeants européens non plus ne comprennent rien au malaise identitaire des nations qu'ils représentent. L'été dernier, le commissaire Nils Muiznieks appelait la France à renoncer à sa loi sur le voile et recommandait aux gouvernements de s'ouvrir au multiculturalisme, qui dispense de s'intégrer. Aussi le premier ministre britannique, David Cameron, a-t-il raison de vouloir inciter cette Union technocratique et un brin soviétoïde et insensible à l'âme des peuples à sortir de son bunker et à se réformer. Partout s'affirme une même aspiration à plus de démocratie. Ceux qui la redoutent sont indéfendables.
Les blocs-notes 2012 viennent d'être édités sous le titre Le Crépuscule du socialisme, Éditions de Passy.