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5 janvier 2013 6 05 /01 /janvier /2013 10:04

Alain Finkielkraut 

5 janv. 2013

Le Figaro

PROPOS RECUEILLIS PAR JACQUES DE SAINT VICTOR

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« Que reste-t-il de ce grand exercice de civilisation qu’était le sport ? » LA FRANCE ASSUME MAL D’AVOIR UNE IDENTITÉ, COMME SI LE DISCOURS IDENTITAIRE CONDUISAIT DE TOUTE FAÇON AU FASCISME » « Je plaide pour qu’on cesse d’user à tort et à travers des mots qui se terminent par “phobe” »

FRACTURES sociales, sport, « droitisation » du débat politique, le philosophe Alain Finkielkraut analyse le climat qui règne aujourd’hui en France, avant d’évoquer les chantiers qui s’ouvrent, selon lui, pour 2013

 

 J’aime regarder des matchs, mais que reste-t-il de ce grand exercice de maîtrise de soi, de soumission à la règle, de civilisation qu’était le sport quand les champions sont transformés en hommessandwichs et que, sous l’oeil des caméras, ils crachent sans arrêt, hurlent pour manifester leur dépit, s’autocélèbrent en toute immodestie dès qu’ils ont marqué un but ou un point ? En quoi cette dérive serait-elle plus accentuée en France ? Pensez aux commentaires qui ont accompagné le « coup de boule » de Zinédine Zidane. Il a été encensé par Jacques Chirac, par des écrivains, et par Djamel Debbouze qui en a fait l’emblème de l’antiracisme. Et l’on peut voir aujourd’hui une sculpture de cet exploit sur le parvis de Beaubourg. Mais Zidane, qui avait en effet été provoqué, est loin d’être le pire. Autrefois, on pouvait penser que les joueurs de football représentaient la France ; ils reflètent maintenant les déchirures de la société française. L’équipe de France renvoie à notre pays l’image de sa crise profonde. Dans les années 1980, on ne leur demandait pas de chanter La Marseillaise parce que l’appartenance allait de soi. Elle est devenue problématique, d’où l’importance qu’on attache au test de l’hymne national et au comportement des joueurs sur le terrain comme en dehors. Aiment-ils la France ou sont-ils à l’image d’une France qui ne s’aime pas ? Telle est la question. Le nouveau sélectionneur national est en train d’améliorer les choses. Mais le contraste reste flagrant avec l’équipe italienne. Vous y voyez l’expression d’une haine de soi qui caractériserait la France contemporaine ? En réalité, la France assume mal d’avoir une identité, comme si le discours identitaire conduisait nécessairement au fascisme. Il existe aujourd’hui, il faut le dire, un sentiment antifrançais en France. Des gens nés sur notre territoire, français euxmêmes, désignent leurs compatriotes comme des « Gaulois », des « Babtous », des « faces de craie ». Cette haine montante plonge beaucoup de commentateurs dans l’embarras car elle contredit leur vision du monde. Ils lui opposent donc une fin de non-recevoir en dénonçant la « droitisation » du débat public. Pour n’être pas contraints de penser à nouveaux frais par la mauvaise nouvelle idéologique, ils marquent d’infamie ceux qui la propagent. Assiste-t-on, comme on dit, à une « droitisation » croissante du débat politique ? On accuse ceux qui s’inquiètent de la montée de sentiments antifrançais en France de « droitiser » le débat. Ils parlent, dit-on, comme le Front national. On reproduit ainsi la logique qui avait cours dans les années 1950 à propos du goulag. Dénoncer l’oppression stalinienne, c’était tenir le même langage que les réactionnaires et c’était affaiblir, du même coup, le camp du progrès. J’ai une idée trop camusienne de la gauche pour me résigner à la voir redevenir le parti de l’aveuglement volontaire. Il faut regarder les choses en face car c’est, au bout du compte, la dénégation qui profite aux populistes. Les gens iront vers ces derniers si les autres, avec les meilleures intentions, continuent de se bander les yeux. Cette montée du populisme vous semble-t-elle un danger pour 2013 ? Il faut s’entendre sur le mot populisme. Si on dénonce comme « populiste » la compréhension pour ces Français qui fuient les « quartiers populaires », alors on fait fausse route. Nous connaissions le séparatisme des riches. Logements sociaux ou pas, ils vivent entre eux ou, en tout cas, ils recherchent la quiétude. Voici venir le séparatisme des pauvres. Des pauvres se séparent d’autres pauvres non parce qu’ils sont racistes, mais parce qu’ils veulent la sécurité, que les courses de moto les empêchent de dormir et qu’ils aspirent à la meilleure scolarité possible pour leurs enfants. Pire que tous les populismes est, à mes yeux, le mépris « grandjournalesque » de ce peuple-là. J’ai vu aux « Guignols » la marionnette du frère de l’un des otages du Mali supplier les ravisseurs de l’enlever, tellement il se morfondait en Ardèche dans la compagnie des hérissons. Autrement dit, il y a une France qui bouge : celle du rap et des bobos, de Sexion d’Assaut et de Yann Barthès, le reste est un désert d’ennui et de bêtise. Je pense exactement le contraire. Toutefois le discours populiste a bien une réalité politique, c’est le discours de la démagogie… Vous avez raison. C’est pourquoi je n’aime pas du tout l’expression « droite décomplexée ». Autant je m’insurge contre le mot « droitisation », autant je me méfie des personnes décomplexées, qu’elles soient de droite ou de gauche. Il faut avoir des complexes. La honte est civilisatrice. La honte, c’est le début de la conscience morale. Quand on est en charge des affaires de l’État, il faut se surveiller sans cesse. Il faut brider ses élans, il faut redoubler de scrupule et d’exactitude, notamment sur la question identitaire. Notre devoir est de regarder la réalité en face, de combattre le nouvel antisémitisme et les racismes d’où qu’ils viennent mais nous devons en même temps nous garder des pièges de la généralisation. La vie est un perpétuel combat contre la facilité. Parmi les grandes réformes qui vont marquer l’année, il y a celle dite du « mariage pour tous ». Y voyez-vous un progrès ou une régression ? Ma religion, si j’ose dire, n’est pas faite. Le grand rabbin Gilles Bernheim rappelle très justement que « le mariage n’est pas uniquement la reconnaissance d’un amour, c’est une institution qui articule l’alliance de l’homme et de la femme avec la succession des générations » . Grâce au progrès de la technologie et au nom de l’égalité, certains voudraient aujourd’hui briser cette articulation. Peut-être ont-ils raison. Et je comprends ceux des couples homosexuels qui aspirent à la reconnaissance publique de leur union. Tout ce que je demande, c’est un peu d’humilité et de prudence car il s’agit de changer de modèle anthropologique, ce qui n’est pas rien. La question préjudicielle que pose ce débat, c’est de savoir dans quelle démocratie nous voulons vivre. Soit la démocratie est un théâtre où des êtres qui ne sont pas des dieux confrontent leurs perspectives ; soit elle est un mouvement, une force irrésistible, une marche triomphale. Soit, autrement dit, elle est recherche en commun du sens ; soit elle incarne le sens de l’histoire et ne tolère aucune opposition. Je ne peux pas me résoudre à cette seconde hypothèse. Je plaide donc pour qu’on cesse d’user à tort et à travers des mots qui se terminent par « phobe ». Si la tempérance revient, la discussion sur le mariage pour tous pourra vraiment commencer. Quel chantier vous semble le plus important pour les mois à venir ? C’est celui de l’enseignement. La gauche, après la droite, succombe au fétichisme de la technique, à la superstition du progrès. On nous invite à nous remettre au numérique pour combattre l’échec scolaire. C’est une idée absurde, car l’apprentissage est une incorporation, alors que le numérique est une mise à disposition. Or lorsque les choses sont à disposition, vous n’avez encore rien appris. Les élèves sont tentés de tout confondre : au lieu d’apprendre, ils cliquent. Donc, loin d’être une solution, le numérique est un véritable problème ; il devrait venir après l’enseignement. S’il en tient lieu, il le dévaste, car il est une dispense d’apprentissage. L’orthographe des élèves est mauvaise, on le sait. Mais si vous avez un correcteur à l’intérieur de votre ordinateur, vous n’avez plus à vous soucier de votre orthographe, donc de la logique même de ce que vous dites. J’ajoute que la culture s’est déposée dans les livres. Un grand spécialiste d’Internet, Derrick de Kerckhove, souligne bien que le livre est « un lieu de repos pour les mots écrits ». Là en effet les « mots ont un domicile fixe. Ailleurs, ils bougent, ils courent, ils sont fluides et malléables ». L’école devrait ramener les élèves aux livres. Au lieu de cela elle quitte l’univers du livre pour ne surtout pas dépayser les digital natives. Et la République numérique part en guerre contre l’élitisme républicain. Des écrans partout, mais nulle part des notes, des devoirs, des redoublements : la dernière réforme est l’ultime capitulation.

 

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Published by voxpop - dans La France en résistance

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