- 13 mars 2013
- Le Figaro
- ALAIN-GÉRARD SLAMA agslama@lefigaro.fr
Pour permettre à l’avion France de décoller, les pilotes et le personnel savent en principe ce qu’il faut faire : ne pas surcharger l’appareil, remplir les réservoirs, respecter les indications de la tour de contrôle avant de se lancer sur une piste encombrée, serrer les freins tout en faisant donner aux moteurs le maximum de puissance, et surveiller constamment le tableau de bord. À défaut, nul n’ignore que ce sera le décrochage, et le crash.
La métaphore n’est pas de pure forme. Car l’opinion, dépassée par la complexité et la gravité de la crise, tend à ressembler de plus en plus, dans ses relations avec le pouvoir, au passager qui remet son sort entre les mains du pilote. Elle ressemble à ces passagers qui, tandis que l’avion tangue, les roues accrochées au sol, choisissent de ne pas voir et, enfoncés dans leur fauteuil, se laissent distraire de leur inquiétude par les apéritifs et autres zakouskis proposés, comme autant de dérivatifs, par l’équipage. Après la catastrophe, il sera un peu tard pour dire que l’avion, affrété par une compagnie au bord de la faillite, et choisie précisément pour ses faibles tarifs, n’avait pas été révisé suffisamment, et qu’il était resté en pilotage automatique en dépit de conditions atmosphériques défavorables.
Il sera un peu tard, aussi, pour faire tomber tout le poids de la faute sur le pilote et sur la compagnie. Car dans le désastre, les passagers auront eu, eux aussi, leur part de responsabilité : ils auront beau dire qu’ils ont été abusés, ils se sont faits les complices de leurs arnaqueurs en focalisant leur demande sur le seul critère du prix le plus bas ; ils ont préféré les facilités d’une apparence, celle de la compétitivité des prix par rapport à la compétitivité des matériels et des services rendus. L’attachement aux 35 heures, le refus de différer l’âge de la retraite, la place disproportionnée donnée aux dérivatifs hédonistes des réformes sociétales s’appuient aujourd’hui moins sur une idéologie que sur une préférence pour un style de vie, un mode de consommation, également partagés par les syndicats et par l’opinion.
Certes – pour prolonger la comparaison – le pilote de l’Élysée est désormais conscient du danger. Les passagers voient clairement qu’il se passe quelque chose d’anormal. Le problème est que, plus l’inquiétude monte, plus la demande de sécurité est grande, et plus grande est la difficulté de dire la vérité sans provoquer la panique. Plus la peur paralyse les comportements, plus il est téméraire de croire qu’on pourra faire évoluer les habitudes. François Hollande avait certainement cette objection à l’esprit quand il a décidé d’entreprendre, il y a quelques jours, une tournée des « territoires », commencée à Blois et poursuivie à Dijon. Or ce n’est pas en promettant une aide financière, de surcroît exorbitante, aux implantations de jeunes médecins ou un soutien public, ruineux, au bâtiment ; ce n’est pas non plus en annonçant une nouvelle réforme des structures intercommunales, un nouvel avatar de la « démocratie de proximité », qui entretient les réflexes corporatistes et identitaires au lieu de favoriser les décisions courageuses, bref, ce n’est pas en s’obstinant à contourner le clash qu’il évitera le crash.
À bien des égards, le vocabulaire de la « constance », de l’« endurance » et de l’« espérance » auquel il a eu recours vaut mieux que celui de la « rupture ». On n’obtient rien d’un peuple quand on exige de lui qu’il rompe avec ses habitudes. Il ne s’agit pas de briser ce qui est, mais au contraire de prendre la hauteur nécessaire pour en renouer les fils, et s’adapter. La logomachie du « monde nouveau » a été à l’origine des 35 heures et de l’idéologie de la décroissance. Il n’en reste pas moins que, en associant, parmi ses préoccupations cardinales, « la lutte contre le chômage, la compétitivité de nos entreprises et le financement de nos retraites » , François Hollande ne peut ignorer qu’il glisse une notion de « compétitivité » qui est la condition des deux autres. Et que mieux vaudrait le dire. Plutôt que de répandre sans limites la manne des subventions, d’aggraver les prétextes à accroître les effectifs de la fonction publique territoriale et d’appeler le plus grand nombre à une participation qui a seulement, dans notre avion, les apparences de la démocratie, le devoir du politique est d’alléger les charges de ceux qui ont le goût d’entreprendre et qui se veulent, sans attendre, responsables dans le secteur de l’économie. Ils sont, dans notre pays, beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense, et s’ils partent à l’étranger, ce n’est pas le fait de l’esprit de lucre, mais de la déception et de l’impatience.