- 22 mars 2013
- Le Figaro
- LAURENCE DE CHARETTE
Indignées d’avoir été écartées des débats sur la récidive, elles se mobilisent et écrivent au ministre.
Ce jeudi-là, Sophie a pris place dans les larges fauteuils de la Maison de la chimie, à Paris, décidée à suivre attentivement les débats de la « conférence de consensus » visant à tracer des pistes de lutte contre la récidive pour le ministère de la Justice. Progressivement, la jeune femme sent la colère l’envahir. Sophie a beau avoir tenté de se construire une vie « normale », effectué une carrière dans les ressources humaines et élevé deux enfants, elle reste au fond d’elle la petite fille de 12 ans qui a vu ses deux parents massacrés sous ses yeux. Une victime, qui, malgré elle, « en a pris pour perpette, avec la douleur » explique-t-elle. Or, sur l’estrade, elle voit défiler des experts de tout poil, un détenu ; mais des victimes, comme elle, de ces criminels récidivistes dont il est tant question, non. Elle prend rageusement des notes. Devant elle, les intervenants se succèdent, évoquant les effets néfastes de la prison « école du crime » sur la récidive, ou l’idée des libérations conditionnelles automatiques…
C’est ainsi qu’elle décide de ne pas taire son indignation. Près d’une trentaine de victimes et proches de victimes ont avec elle pris la plume pour dire au ministre de la Justice, mais aussi au premier ministre et au président de la République - ainsi qu’au ministre de l’Intérieur Manuel Valls - leur profond désaccord avec les 12 recommandations issues de cette conférence de consensus qui n’a de consensuelle que le nom. « Nous sommes déterminés à faire entendre nos voix par tout moyen de droit et serons entendus, soyez-en sûre » avertissent-elles dans une lettre envoyée ce mercredi et signée « les victimes, familles de victimes de la récidive, oubliées de la conférence de consensus sur la récidive ».
Mise de côté lors des réflexions organisé sous l’égide de la Chancellerie, les victimes ont décidé de s’inviter d’ellesmêmes dans le débat.
Chacun des pétitionnaires, a, en outre, pris soin de rédiger un texte destiné plus spécifiquement à Christiane Taubira. À travers ces mots, souvent poignants, parfois durs, ces victimes ont voulu faire toucher du doigt, à cette garde des Sceaux trop soucieuse à leur goût de la surpopulation carcérale, les traumatismes des familles dont les vies ont brusquement volé en éclat le jour où l’un des leurs a croisé le chemin d’un prédateur en liberté.
« Je suis atterrée… je suis en profond désaccord avec la société que vous préparez pour demain », s’indigne Sophie Mougel, la belle-soeur de Natacha Mougel, assassinée par un présumé multirécidiviste alors qu’elle effectuait son jogging. Âgée de 92 ans, Jeanne a perdu deux de ses filles, assassinées à six ans d’intervalle. « Cette douleur, je n’ai pas de mots pour la décrire », dit-elle simplement dans un texte qu’elle a dicté à sa petite-fille. L’un des deux meurtriers a été libéré avant la moitié de sa peine précise-t-elle - et l’on sent à travers ces lignes toute l’incompréhension vis-àvis d’un système dans lequel la peine effectuée reste souvent très inférieure à la peine prononcée.
Profonds traumatismes
Dans sa colère, une mère a adressé à Christiane Taubira l’autopsie de sa petite fille sauvagement martyrisée avant sa mort avec ces quelques mots : « Je ne sais pas si vous avez déjà lu un compte rendu d’autopsie, Madame le Ministre, moi, si. » « Je partage votre souci d’humaniser l’univers carcéral, assure une autre victime de viol, mais je vous en prie, pensez aux victimes ! » implore-t-elle. Ces témoignages soulignent à quel point les années passées, même par dizaines, n’effacent pas de profonds traumatismes. Les victimes confient leurs parcours professionnels brisés, racontent ces années de consultations médicales ou de prise en charge psychologiques qui ne sont pas parvenues à recoller des âmes en pièces. Aux experts qui expliquent froidement que « le risque zéro n’existe pas », elles veulent rappeler que « plus de 1 000 viols et assassinats perpétrés par des psychopathes pourraient être évités par des mesures appropriées » selon les calculs de Jean-Pierre Escarfail, président d’une association de victimes de Guy Georges.
Mais, au-delà de ces drames humains, cette mobilisation spontanée pointe surtout l’incompréhension suscitée par les conclusions de la conférence de consensus, tout particulièrement sur la question de la prison. Les victimes ne comprennent pas que les experts ne fassent pas de la privation de liberté la peine de référence. La peine de « probation » proposée par le jury et défendu par le président de la République ne trouve pas grâce à leurs yeux. De même de la suppression de la rétention de sûreté, cet hôpital prison qui était destiné à accueillir les prédateurs les plus dangereux entre ses murs, même une fois leur peine purgée. « Sachant que certains de nos concitoyens n’ont eu qu’à se retrancher dans des grues pour être reçus, nous espérons que vous serez sensibles à notre démarche » conclut le courrier pétition.