Une association d'automobilistes a pris d'assaut, ce jeudi, la gare de péage de Saint-Arnoult- en-Yvelines et bloqué entièrement la circulation pendant plusieurs heures, détruit des équipements et lancé des explosifs. Pourquoi? Parce qu'un conducteur avait été contrôlé par la police pour excès de vitesse et avait mal pris de se voir verbaliser. L'association parle aux micros de harcèlement, explique que le contrôle a été violent, que les policiers se sont comportés comme des cow-boys et qu'elle évacuera le péage quand les renforts venus pour ramener le calme seront retirés car ils constituent une provocation.
Cette histoire, bien sûr, est une fiction. Toute ressemblance avec des faits réels ne serait pourtant pas fortuite. Parce qu'il n'y a aucune raison que ce qui nous ferait bondir de la part d'un groupe de citoyens, en l'occurrence des automobilistes, puisse être jugé acceptable, ou même simplement compréhensible, quand il s'agit d'une autre catégorie de citoyens. Mais les événements de Trappes ont prouvé que, pour certains, cette perception à géométrie variable n'est nullement dérangeante.
Car le scénario décrit est rigoureusement celui qu'on a vu s'afficher dans les médias. Tout d'abord, un individu, une femme convertie à l'islam, enfreint la loi en toute connaissance de cause. Elle et son mari peuvent ensuite prétendre avoir été maltraités par les policiers: aucune preuve ne vient étayer leurs dires. Mais c'est pourtant la thèse qui sera reprise en boucle par certains habitants du quartier et de gentilles associations toujours promptes à défendre les droits des individus qui refusent la règle commune.
Pire, on entend au micro des journalistes des jeunes gens expliquer, sous couvert d'anonymat, que s'«ils veulent le retour au calme», «ils n'ont qu'à retirer les CRS qu'ils ont positionnés depuis quelques jours». Et là, on est comme pris de vertige. Les CRS ne sont là que parce que des voyous brûlent des voitures et ont attaqué un commissariat. Mais dans l'idée de ces citoyens modèles, ils n'ont pas à venir rétablir l'ordre et rappeler la loi républicaine. Ils ne sont pas chez eux.
La logique est claire, assumée: on est dans une lutte pour le territoire. Il est des lieux, en République française, où la loi n'a pas à s'appliquer, où la police n'a pas à pénétrer, parce qu'il lui sera répondu par la violence. L'attitude supposée insultante des forces de l'ordre n'y est qu'un prétexte: leur seule présence est en fait considérée comme une façon d'empiéter sur les prérogatives des «propriétaires» des lieux. Il est des territoires qui sont perdus pour la République.
De plus en plus, la libanisation de la France et sa fracturation en des espaces privatisés deviennent une sorte d'évidence, un principe de raisonnement. On est dans le donnant-donnant. Police et voyous sont sur un pied d'égalité. En même temps, la puissance publique est réclamée, rappelée à l'ordre, même, car considérée comme ne remplissant pas ses obligations. Ce qui est certes vrai. Mais ceux qui se sont approprié l'espace sont ceux-là mêmes qui induisent aussi le processus de dégradation des quartiers en détériorant les halls d'immeuble, en agressant les chauffeurs de bus qui osent leur demander de montrer leur titre de transport ou bien en refusant l'application d'une loi sur le voile intégral qui incarne les valeurs de notre contrat social.
Il est d'ailleurs intéressant de constater que l'idée selon laquelle, «après tout, les gens ont bien le droit de s'habiller comme ils veulent» fut défendue cette semaine par la frange libertaire de la gauche et par un quotidien s'affirmant libéral comme L'Opinion. Libéraux et libertaires se rejoignent une fois de plus dans le refus d'une philosophie républicaine fondée sur le partage d'un espace par une communauté nationale. Il n'y a que des individus, avec leurs droits en bandoulière.
Sur une radio nationale, on pouvait entendre lundi ce délicieux commentaire d'une journaliste: «Retour au calme à Trappes: la police signale seulement deux ou trois tirs de mortier…» Bienvenue dans la République française. Le ministre de l'Intérieur peut bien rappeler à des habitants qui l'interpellent que le respect de la loi est inconditionnel, tant que ce principe semblera à certains chaque jour moins évident, le pays se fracturera.