Bd Voltaire
Philippe
Tesson
Journaliste, chroniqueur
Propos recueillis par Claire Verdier.
Leroy Merlin et Castorama d’Île-de-France ont été condamnés, jeudi, à fermer le dimanche, et Sephora Champs-Élysées a été enjoint, lundi, à fermer à 21 heures. Cette décision de justice vous surprend-elle ?
On assiste à une transgression de la lettre de la loi, pas de l’esprit – et encore – mais de la lettre de la loi. Qu’il s’agisse du travail de nuit ou du travail du dimanche, cette décision de justice est proprement scandaleuse. Les juges disent faire appliquer la loi mais je remets, moi, en question la loi elle-même et la manière dont ces juges prennent des décisions en fonction du droit. Les juges ont quand même la liberté d’interpréter la loi sans prendre de décisions aussi radicales qui poussent la loi à son maximum. Symboliquement, ces décisions sont monstrueuses, tant sur le plan des libertés individuelles que sur les plans social et économique.
Les employés étant volontaires, vous considérez qu’on ne peut pas les empêcher de travailler, c’est bien cela ?
Je suis de ceux qui considèrent que chacun a le droit de décider de son rapport au travail. Si vous désirez travailler plus de 35 heures, je trouve inadmissible qu’on vous empêche de le faire. Cette conception va à l’encontre de la liberté du salarié mais aussi du consommateur. La majorité des consommateurs sont favorables à l’ouverture des magasins le soir et le dimanche. Cette loi est antimoderne.
Par ailleurs, dans la logique économique et sociale, cette décision est incompréhensible. À l’heure où le chômage est au plus haut, la fermeture du dimanche représente des centaines, voire des milliers de suppressions d’emplois. C’est un frein inadmissible au développement économique !
Mais ce qui est défendable d’un point de vue économique l’est-il obligatoirement d’un point de vue social ?
Bien sûr, tout est lié, d’une certaine façon. Si une entreprise perd plusieurs millions de chiffre d’affaires, à cause de la fermeture de ses magasins le dimanche, les conséquences et les interférences sociales sont immédiates. C’est évident. Toute cette affaire manque cruellement de logique.
Ne remettons-nous pas en cause l’organisation globale de la société, en permettant le travail du dimanche ? Je pense à la vie familiale, associative ou religieuse…
N’exagérons pas, le travail est un élément mineur de l’organisation de la société. Tout ceci est extrêmement symbolique. L’importance économique et sociale de ces ouvertures n’est pas considérable. L’organisation globale de la société n’est pas en danger.
Cette affaire est l’expression pure de la ringardise des syndicats, car on sait bien que ce sont des intérêts personnels qui sont ici défendus au nom d’une conception archaïque de l’organisation du travail. Nous avons, en France, une conception imbécile de l’égalité. Cette affaire met aussi en lumière la lâcheté des politiques – et notamment de la droite – qui n’ont pas eu le courage de modifier la loi. Enfin, elle affiche au grand jour le rigorisme de la justice qui révèle la sclérose de notre pays dont l’activité économique est soumise au caprice syndical. C’est la négation d’une nouvelle forme de consommation. Nous ne sommes pas dans une société libérale, je ne m’en étonne pas, mais je ne m’en scandalise pas moins…
En permettant aux employés de travailler le dimanche, n’allons-nous pas à terme en arriver à faire du dimanche un jour de la semaine comme les autres ? Le travail du dimanche ne deviendra-t-il pas une condition sine qua non à toute embauche ?
Mais si les salariés le veulent, pourquoi les empêche-t-on de travailler ? On ne les force pas à travailler, c’est eux qui le veulent. Si tous les employeurs en arrivent à faire travailler le dimanche – ce qui n’arrivera pas –, il y aura toujours des gens pour dire qu’ils ne sont pas d’accord, ce n’est pas pour cette raison qu’ils seront licenciés. En se posant ce type de questions, on oublie le principe fondamental de la liberté.